E-gouvernance

Fracture numérique

Le nombre d’internautes africains va quadrupler au cours des trois prochaines années. Mais le retard technologique du continent est préoccupant, et l’accès à la Toile demeure très inégalitaire selon l’endroit où l’on vit.

Il est des chiffres difficiles à interpréter, tant les informations qu’ils véhiculent sont contradictoires. Ceux sur la situation de l’Internet en Afrique en font partie : ils peuvent inciter à une lecture positive ou négative - selon l’angle préalablement choisi. Côté pile : le nombre d’internautes africains - estimé à 6 millions - a été multiplié par cinq au cours des quatre dernières années, et sa progression est loin d’être terminée. Il devrait encore quadrupler d’ici à trois ans. Les sites africains vont connaître une évolution tout aussi exponentielle pour passer d’environ 360 000 aujourd’hui à plus de 1 million en 2005. Côté face : l’Internet africain n’en demeure pas moins à un stade embryonnaire. Beaucoup reste à faire : bien qu’en constante augmentation, ces chiffres masquent difficilement le retard pris par le continent. L’Afrique compte aujourd’hui 1 internaute pour 130 habitants, ce qui en fait, avec un taux d’utilisateurs dix fois moindre que celui de la moyenne mondiale, le continent le plus faiblement connecté. Bien qu’en augmentation de 20 % par rapport à l’an passé, le nombre de personnes ayant souscrit un abonnement à l’Internet reste encore extrêmement peu élevé : 1,7 million sur une population totale de plus de 780 millions d’habitants. Mais ces chiffres cachent de tels écarts que l’on peut à juste titre parler de « fracture numérique » interafricaine. Avec à peine plus de 5 % de la population du continent, l’Afrique du Sud émerge du lot : elle compte, à elle seule, autant d’internautes (plus de 3 millions) que les cinquante-deux autres pays africains réunis... Si l’Égypte, le Maroc ou la Tunisie commencent à lui emboîter le pas, le reste du continent peine à amorcer son « développement Internet » : la proportion d’internautes y oscille, selon les pays, entre 0,1 et 0,4 %. Des pays comme le Mali ou le Burkina comptent respectivement 30 000 et 20 000 utilisateurs, pour une population d’environ 10 millions d’habitants chacun.
Plusieurs facteurs expliquent ce retard. Le premier est d’ordre politique : une grande partie des pays africains continue de considérer le matériel informatique - généralement importé - comme un produit de luxe et, à ce titre, lui applique une taxation élevée. Un tel comportement ne peut que freiner la vulgarisation de l’outil informatique, et donc de l’Internet. Mais le principal obstacle reste d’ordre géographique. La majorité de la population africaine réside encore dans des zones rurales généralement mal desservies par les réseaux téléphoniques. Résultat : dans une grande partie des pays subsahariens, 75 % des lignes sont concentrées dans les capitales. Plus difficilement accessibles, les autres régions, qui, bien souvent, ne disposent pas de relais Internet, sont obligées de facturer la connexion en accès longue distance, nettement plus coûteuse qu’une communication locale. Ce qui, en d’autres termes, signifie que l’Internet demeure un luxe. Pour vingt heures de connexion mensuelles, un Africain doit, en moyenne, débourser plus de 60 euros - quatre fois plus qu’un Américain - ce qui, pour beaucoup, représente l’équivalent d’un mois de salaire. Conscients qu’un tel coût ne pouvait que freiner le développement de l’Internet, dix-neuf États africains ont institué un coût d’accès local sur l’ensemble de leur territoire. Conséquence directe d’une telle action : la facture moyenne des consommateurs est tombée en dessous de la barre des 30 dollars, pour vingt heures d’utilisation par mois. À la pointe de cette politique volontariste, les Seychelles, qui ont décidé d’instaurer un coût d’accès à l’Internet 50 % moins cher qu’une communication locale.

Le faible taux d’abonnements individuels au réseau informatique mondial (0,2 %) ne doit cependant pas masquer une autre réalité : l’Afrique est le continent qui pratique le plus l’« utilisation partagée » de ses ordinateurs. La zone compte aujourd’hui plus de 100 000 cybercafés. Il s’en ouvre chaque année plusieurs centaines, principalement dans les villes, mais aussi, de plus en plus fréquemment - comme, par exemple, au Maroc -, dans certaines zones rurales fraîchement connectées au réseau téléphonique national. Disposant, en moyenne, d’une dizaine de postes, ces établissements connaissent un succès fulgurant, en particulier auprès des jeunes. Reliés à un serveur, ces ordinateurs « collectifs » permettent de fidéliser de nouveaux usagers, séduits par un coût d’utilisation nettement plus abordable : l’heure de navigation y est généralement facturée moins de 1 dollar, sans abonnement ni autre forme de dépense.

Si, pour l’heure, les utilisations économiques et sociales de l’Internet restent sur le continent relativement confidentielles, elles sont indubitablement appelées à se généraliser. La messagerie électronique est celle qui connaît depuis quelques années le développement le plus spectaculaire, tant auprès des particuliers que des entreprises. Et pour cause : le recours au mail permet de diminuer temps et coût d’acheminement de documents de manière considérable - et cela tout particulièrement dans les échanges interafricains. À titre d’exemple, l’envoi d’un texte d’une quarantaine de pages de Madagascar jusqu’en Côte d’Ivoire prendra près d’une semaine par la poste - contre quelques minutes par e-mail. Les frais d’acheminement passeront, quant à eux, de 75 dollars à... 2 cents. L’aspect commercial du Web attire par ailleurs de plus en plus de sociétés africaines. Les entreprises sud-africaines ont ouvert la marche : 64 % d’entre elles disposent dorénavant d’un portail commercial leur permettant de présenter - voire de vendre - leurs produits dans le monde entier.

Autre application - encore embryonnaire - de l’Internet en Afrique : la télémédecine qui, grâce au réseau mondial, permet de livrer des consultations, de transmettre des images et des dossiers médicaux, voire même de fournir une assistance chirurgicale pour opérer « à distance » des populations généralement très éloignées des infrastructures hospitalières.

Si le réseau informatique mondial ne représente pas à lui seul le remède miracle pour l’Afrique, il n’en demeure pas moins un outil qui peut contribuer à mieux ancrer le continent dans une économie globalisée. À condition de pouvoir combler, au cours des prochaines années, son déficit en infrastructures et en matériel.

Tariq Zemmouri

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