E-gouvernance

Nathalie Kosciusko-Morizet " le numérique n’est pas un luxe pour le nord et il est utile pour le sud"

Après l’Asie du sud-est et les Etats-Unis, c’est en Afrique de l’ouest, précisément au Burkina Faso que la Secrétaire d’Etat française, chargée de la Prospective et du développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet a déposé ses valises. Ce, pour une visite d’étude qui a durée du 13 au 16 décembre 2009. Elle a profité de ce séjour pour rencontrer plusieurs personnalités et certains acteurs anonymes du développement, dont les femmes. Une équipe de Fasozine.com s’est entretenue avec elle, le mardi 15 décembre 2009, peu avant l’audience que lui a accordée Blaise Compaoré, le Président du Faso. La fracture numérique entre les pays du Nord et ceux du Sud, le rôle de la femme burkinabè dans développement et des projets qui devraient accompagner la marche du « pays des hommes intègres » vers le développement, ont constitué, entre autres, les sujets évoqués au cours de la discussion à bâtons rompus avec Nathalie Kosciusko-Morizet.

Fasozine.com : Dans quel cadre se situe votre séjour au Burkina ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : C’est un voyage de quatre jours qui m’a conduite en Afrique, précisément au Burkina Faso et au Sénégal. De part les attributions de mon département, je m’occupe de deux aspects, la prospective, qui a trait à la planification, et l’économie numérique, qui concerne le développement des télécommunications, d’internet, de la télévision numérique. Je dois oeuvrer pour faire en sorte que ce soit un développement qui participe de la création d’emplois et de l’avènement d’une société plus harmonieuse. A Ouagadougou, j’ai eu des rendez-vous, un peu sous mes deux casquettes. J’ai rencontré par exemple le ministre en charge des Télécommunications et celui en charge de la Prospective. Il faut relever que le Burkina est le seul pays d’Afrique à avoir un ministère de la Prospective. Donc, nous allons certainement partager une vision d’avenir pour développer cette politique. Au niveau des Télécommunications, on a beaucoup de domaines de coopération avec le Burkina, coopération qui marche très bien de manière générale. En particulier dans le domaine du numérique, on a de bonnes coopérations qu’on a envie de relancer et d’autres qu’on voudrait mettre en place. Dans celles qui sont bonnes et qu’on a envie de relancer. Il y a par exemple les centres ADEN, un projet d’installation de cybercafés, en quelque sorte, des espaces publics numériques. Ce projet couvre plusieurs pays africains, avec en moyenne dans les pays concernés, 4 centres ADEN et 16 pour le Burkina. C’est le pays dans lequel cela a très bien marché, mais aujourd’hui, on est confronté à de nouveaux défis. D’abord, il y a un problème d’accès à l’internet. Nous pourrons accompagner le gouvernement burkinabè dans les négociations de la bande passante d’accès à internet dans l’ensemble des centres ADEN. Il y a aussi un problème de formation des animateurs de ces centres, parce que l’objectif, c’est que ces structures soient rentables, qu’elles n’aient plus besoin de subventions, en somme, qu’elles puissent avoir leurs propres ressources financières. Dans cette logique, les personnes qui fréquentent ces centres doivent pouvoir payer un peu pour avoir leur accès à internet.

Comment le numérique peut-il être mis au service du développement au Burkina, un pays à un fort taux de population rurale où il n’y a généralement pas d’électricité et où la connexion ?la connexion est constamment défaillante, même en pleine capitale ?

Du côté de l’accès à l’internet, pour moi, il y a deux clés. Il y a d’abord des espaces numériques partagés comme les centres ADEN. Tout le monde n’aura pas sa connexion à domicile. Il y a, du reste, très peu de personnes qui l’ont. Si la politique est mise en place, on ne va pas s’occuper seulement de l’accès au numérique, à la bande passante. On fera en sorte de mettre à la disposition des gens, des services qui vont rendre le numérique utile et attractif. C’est un autre programme qu’on veut développer, en l’occurrence la e-éducation. On est en train de monter au niveau national en France, une nouvelle coopération qui est dotée de 50 millions d’euros qu’on voudrait en partie déployer dans des pays d’Afrique de l’ouest.

Vous venez de séjourner dans des pays de l’Asie et les Etats-Unis. Quel constat faites-vous de la fracture numérique entre ces pays et l’Afrique, et comment faire pour la combler ?

En terme d’accès, au Burkina, c’est loin d’être l’objectif. J’ai beaucoup discuté avec mon collègue burkinabè des Télécommunications et avec le Premier ministre. Ils ont un projet en numérique, qui consiste à des liens inter-administrations multipliés dans toutes les provinces et de pouvoir les utiliser au profit de la e-administration. Par ailleurs, ils ont un projet sur lequel ils vont chercher des financements. Mais pour le moment, ils sont en train de le finaliser et ne sont pas encore en phase de financement. J’ai rencontré des travailleurs de l’industriel, dont ceux du rail qui sont prêts à participer à ce genre de projets, liés au développement d’internet, de l’eau et des chemins de fer qui sont toujours utiles, quand on sait que le couplage entre les réseaux numériques et les réseaux traditionnels (eau, énergie, transport…) permet de beaucoup limiter les coûts de déploiement des réseaux humanitaires et d’avoir une maintenance de meilleure qualité. Le projet numérique n’est déjà pas mal, on partage vraiment l’idée avec le gouvernement burkinabè et on est en train de numériser les coopérations existantes. Le Centre d’information sur la recherche et le développement (Cird) par exemple a été mis en place pour les étudiants et les chercheurs. Il est doté de salles numériques et offre la possibilité avant tout, d’accéder à des bases de données de recherches à travers internet, éventuellement pouvoir les imprimer ou faire des photocopies, pour ceux qui n’ont pas d’ordinateur chez eux et qui ne peuvent pas prendre les documents avec des clés USB.

Comment peut-on en arriver à la réussite de ces genres de projets et surtout travailler en terme de prospective, quand on sait que le Burkinabè, confronté à d’énormes difficultés existentielles, se prend difficilement en charge au quotidien ?

Je ne prétends pas du tout que le numérique va tout changer. On a d’ailleurs d’autres coopérations qu’on prolonge. Il y a un Conseil d’administration à l’Agence française de développement qui parlera de deux projets de coopération. Il y en a un sur l’énergie, l’autre sur l’eau. Donc, on va bien sûr miser sur les aspects traditionnels parce que pour nous, ce serait une erreur de penser que le numérique, c’est pour les pays du Nord, et que pour les pays du Sud, il faut résoudre d’abord les autres problèmes et y penser après. Agir ainsi ce serait vraiment une erreur parce qu’aujourd’hui, le numérique dores et déjà, participe au développement des pays du Sud. Un exemple concret est celui de la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques (Cameg) qui était initialement un projet de la coopération française. Manifestement bien investie, à ce jour, la Cameg n’a plus besoin d’aide. Elle est complètement rentable et elle a pu développer autant d’activités parce qu’elle est numérisée. A la Cameg, ils ont un système informatique très sophistiqué, avec des logiciels performants. Le numérique n’est pas un luxe pour les pays du Nord, et il est particulièrement utile pour un pays du Sud qui est en train d’assurer son développement.

Quelle appréciation faites-vous de l’expérience de Fasozine.com, le seul véritable quotidien numérique en Afrique de l’ouest ?

D’abord, je crois beaucoup à l’information numérique et au partage d’informations sur internet. Pour moi, ce n’est pas seulement de l’information traditionnelle mise en ligne, ce n’est pas juste un journal traditionnel qui est partagé entre les internautes. C’est la possibilité qui leur est offerte, de partager entre eux l’information, la commenter, devenir eux-mêmes des gestionnaires de cette information. Chacun devient participant, et cela, j’y crois beaucoup, en particulier dans un pays du Sud où on sait qu’il y a des phénomènes d’exclusion qui ont tendance à vous renvoyer certaines personnes en marge de la société. Le numérique peut être un moyen qui au contraire associe tout le monde, surtout pour le partage de l’information. Il donne à chacun l’occasion de donner son point de vue sur des sujets qui paraissent lointains. C’est quelque chose qui peut contribuer à l’intégration. En plus, le numérique, c’est une nouvelle possibilité offerte à la liberté de la presse. Il participe beaucoup à la pluralité de l’opinion. Pour le moment vous (Fasozine.com,ndlr) êtes seul, mais probablement à terme, il y aura plusieurs journaux en ligne, ce qui contribuera au renforcement de la diversité, de la critique dans une démocratie comme le Burkina.

Quel peut être l’apport du numérique pour les femmes qui évoluent, pour la plupart, dans l’informel ?

Le lundi 14 décembre dernier, j’ai dîné avec des femmes burkinabè chefs d’entreprises, patronnes d’ONG (Organisation non gouvernementale), une ancienne ministre et une ancienne députée. En France, nombre de femmes qui n’avaient pas pu se réaliser dans leur vie personnelle et professionnelle ont réussi, à travers l’outil numérique très décentralisé, à avoir accès au micro- crédit, donc la possibilité de développer leurs propres business et prendre ainsi leur indépendance financière. Pour le moment, moi je n’ai pas de solutions, mais je pense qu’à terme, l’outil numérique quand il aura été bien réparti, pourra donner un nouvel envol à tous les systèmes de micro crédit comme en France d’ailleurs où on donne beaucoup d’importance à un projet dénommé « l’auto entrepreneur », à travers lequel quelques personnes se lancent elles-mêmes dans l’auto entreprise. Le numérique est très important pour des femmes qui sont dans des projets de micro crédit. Je prends par exemple le projet que la France finance dans la production du miel. Pouvoir vendre son miel en ligne, c’est réussir un jour à résoudre les problèmes de conformité avec l’Union européenne. C’est une nouvelle étape dans le développement et la réalisation d’une forme d’autonomie pour les pays du Sud.

De ce que vous avez vu et entendu, est ce que la femme burkinabè tient réellement le rôle qui est le sien ?

Les femmes burkinabè ont des problèmes spécifiques qu’elles ne masquent pas : des problèmes de violences faites aux femmes, des problèmes très culturels qui ont tendance, même quand il n’y a pas de violences, à les mettre un peu à l’écart, ou dans des positions en quelque sorte inférieures quel que soit le secteur. C’est manifestement vrai dans beaucoup de pays, dans les secteurs de l’industrie, de la santé, et bien sûr de la politique.

Morin Yamongbé et Kpénahi Traoré de Fasozine.com

source : http://www.fasozine.com/index.php/politique/politique/1929-nathalie-kosciusko-morizet-lle-numerique-nest-pas-un-luxe-pour-le-nord-et-il-est-utile-pour-le-sudr

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