E-agriculture

Innovation locale au Burkina Faso dans la vulgarisation agriculteur à agriculteur

Une attention croissante est de plus en plus accordée à l’innovation locale dans l’agriculture – le processus par lequel les agriculteurs développent de nouvelles et meilleures manières de faire les choses, principalement en utilisant les ressources locales et sur leur propre initiative, sans pression ou appui direct des agents de la recherche formelle ou du développement.
Dans ce processus, les agriculteurs ont développé non seulement de meilleures techniques de culture mais également de meilleures manières de s’organiser.

Dans la région du Yatenga au Burkina Faso, des améliorations locales d’une technique de culture traditionnelle sont devenues très répandues, en grande partie à cause de l’esprit d’innovation des agriculteurs dans le développement de leurs propres méthodes de vulgarisation agriculteur-à-agriculteur. Ils ont trouvé des moyens très efficaces de diffuser leurs idées et d’encourager d’autres agriculteurs à les expérimenter.

Au début des années 80, des agriculteurs de la région du Yatenga situé sur le Plateau Central fortement peuplé du Burkina Faso ont développé – de leur propre initiative – des méthodes de réhabilitation des terres dégradées en améliorant les poquets traditionnels de semis connus sous le nom de zaï.

Dans les petits trous creusés dans le sol latéritique stérile, les agriculteurs mettent de la matière organique qui attire les termites. Celles-ci creusent de petites galeries dans le sol et améliorent la structure du sol, de sorte que l’eau peut s’y infiltrer et être conservée.En digérant la matière organique, les termites rendent les nutriments plus facilement disponibles aux racines des plantes.

La plupart des agriculteurs cultivent du mil ou du sorgho ou les deux céréales dans les zaï. Parfois ils sèment des graines d’arbres directement avec les céréales dans les mêmes poquets. De cette façon, les jeunes arbres profitent également de la concentration d’engrais et d’eau dans les poquets, destinés en priorité aux céréales. Lorsqu’ils moissonnent le grain, les agriculteurs coupent les tiges à une hauteur de 50–75 centimètres. Les parties des tiges qui restent debout protègent les jeunes plants d’arbres du bétail qui pâture traditionnellement dans les champs moissonnés. Ainsi, le zaï est utilisé pour créer ou restaurer des bosquets, en vue de vendre le bois et d’autres produits.

Certains des agriculteurs dont la créativité et le dynamisme ont contribué à ces améliorations de la technologie locale du zaï ont lancé des activités en vue de diffuser et d’améliorer encore davantage cette technologie. Les trois approches de vulgarisation agriculteur-à-agriculteur développées par les agriculteurs innovateurs du Burkina Faso et décrites ici – à savoir les approches " jour de marché ", " enseignant-élève " et " école de zaï sur le terrain " – sont, en elles-mêmes, des innovations locales.

L’approche " Jour de marché "

Vers 1980, dans le village de Gourga, situé à quatre kilomètres à l’ouest de Ouahigouya, la capitale de la région du Yatenga, Yacouba Sawadogo commença à améliorer les poquets traditionnels de semis par toute une série d’expérimentations.

Depuis 1984, Yacouba Sawadogo utilise l’approche " jour de marché " pour donner aux agriculteurs l’occasion de partager leurs adaptations et leurs améliorations de la méthode traditionnelle du zaï et favoriser ainsi sa diffusion.

Non seulement lui mais également d’autres agriculteurs ont effectué des expériences informelles, par exemple, trouver les moyens les plus efficaces pour faire pousser des plants d’arbres dans les zaï, vérifier les effets résiduels du compost sur les céréales cultivées au cours d’une deuxième saison, expérimenter des combinaisons d’engrais organiques et inorganiques dans les zaï, et essayer de cultiver différentes variétés de cultures dans les zaï.

Au début, ces rassemblements étaient petits, mais maintenant chaque jour de marché attire des agriculteurs de plus de 100 villages. Les rassemblements se tiennent deux fois par an. Le premier jour de marché se tient peu de temps après les récoltes, et les agriculteurs apportent un échantillon des différentes variétés de cultures (mil, sorgho, maïs, niébé) qu’ils ont cultivées dans leurs zaï. Yacouba Sawadogo stocke ces graines chez lui. Le deuxième jour de marché se tient juste avant la saison des pluies. Parmi les graines stockées, les agriculteurs peuvent choisir les espèces et les variétés qu’ils voudraient semer dans leurs zaï, prenant en compte les améliorations survenues dans les conditions par suite de leurs efforts.

Chaque jour de marché a un thème spécifique. Par exemple, un jour de marché était consacré à la culture du sésame. Un autre thème était l’utilisation du zaï pour faire pousser des arbres directement à partir de la graine. A chaque jour de marché, il y a également une exposition des outils locaux utilisés pour creuser les zaï. Cela permet aux agriculteurs d’autres régions de voir eux-mêmes quels outils peuvent être utilisés et d’apprendre où ils peuvent les acheter.

Les agriculteurs impliqués dans les marchés du zaï ont créé des " Association de Groupes de Zaï pour le Développement du Sahel ", principalement en vue de mobiliser l’appui financier ou matériel extérieur pour diffuser la technologie du zaï. L’Assemblée générale de cette association se tient pendant les jours de marché. L’appui extérieur a jusqu’ici été plutôt modeste.

En 1997 l’Association a reçu trois motos, du carburant et du ciment d’une organisation non-gouvernementale. Avant 1997, Yacouba Sawadogo utilisait sa propre moto et achetait son propre carburant pour sillonner les villages afin de diffuser son message et pour encourager les agriculteurs à partager leurs expériences et à apprendre durant les jours de marché. Cependant, la télévision nationale du Burkina Faso a produit un documentaire sur l’approche jour de marché, et la radio a diffusé deux émissions sur les réalisations de Yacouba Sawadogo dans la gestion des ressources naturelles.

Beaucoup de visiteurs viennent à sa ferme, et les recevoir prend beaucoup de temps. La solution qu’il a trouvée est de demander une " contribution " de chaque visiteur. Ceux qui viennent de l’étranger sont invités à planter un jeune plant d’arbre, que Yacouba Sawadogo a fait pousser dans sa propre petite pépinière, et les groupes d’agriculteurs venant d’ailleurs au Burkina Faso ou d’Afrique de l’Ouest sont invités à creuser quelques zaï dans son champ. Cela constitue également une sorte de formation sur le tas.

Qu’est-ce qui motive Yacouba Sawadogo à diffuser ses innovations et celles d’autres agriculteurs si activement ? Il dit qu’il veut montrer que la dégradation environnementale n’est pas irréversible et qu’il est possible de gagner sa vie en cultivant au Yatenga. En même temps, il veut être reconnu comme un innovateur et cette reconnaissance publique est une incitation importante pour lui.

L’approche " Enseignant-Elève "

Dans le village de Gourcy, Ali Ouédraogo, un agriculteur innovateur très expérimenté, a beaucoup investi dans l’amélioration du zaï en le combinant avec l’application du compost, la plantation d’arbres et la protection des arbres et des arbustes qui régénèrent naturellement le sol. Il a formé différents agriculteurs dans cinq villages près de Gourcy et leur rend régulièrement visite pour travailler avec eux directement dans leurs champs. Il fait cela pour leur montrer comment il utilise le zaï, pour leur donner des conseils et pour échanger des idées avec eux.

Certains de ses élèves ne se contentent pas seulement d’adopter ce qu’il suggère. Ils effectuent leurs propres expériences basées sur son idée originale et développent des adaptations de cette idée. Par exemple, un agriculteur, Hamadé Bissiri, trouvait que les zaï d’Ali étaient excessivement grands et demandaient beaucoup de temps et de force physique pour les creuser. Tout le monde ne peut pas faire cela.

Hamadé Bissiri a donc modifié la disposition et les dimensions des zaï pour convenir à sa capacité. D’autres agriculteurs ont expérimenté l’application de différentes quantités de matière organique au moment du semis ou de la plantation dans les poquets.

Depuis 1993, Ali a formé douze agriculteurs. Ses " élèves " à leur tour, forment d’autres agriculteurs aux techniques améliorées du zaï, à leur demande. Ces agriculteurs-formateurs ne sont pas payés pour leurs services. Leur principale récompense est l’estime sociale qu’ils en retirent, mais cela est parfois accompagné de cadeaux d’appréciation (poulets, noix de cola ou un repas).

L’approche " École de zaï sur le terrain "

Dans le village de Somyanga dans la région du Yatenga, Ousséni Zoromé a lancé l’approche " École de zaï sur le terrain ". En 1992, il a commencé à former quelques agriculteurs locaux sur la manière de faire de bons zaï. Pour cela, il a choisi le site le plus pauvre possible, immédiatement à côté de la route bitumée reliant Ouahigouya à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Les sols à cet endroit avaient été complètement détruits par les bulldozers qui construisaient la route.

Les agriculteurs utilisèrent les différentes améliorations sur la technique du zaï, telle que l’application de matière organique (compost ou engrais) et l’utilisation de variétés adaptées de céréales, et évaluèrent les résultats ensemble. Ils réussirent à réaliser une récolte de millet de 400 kilogrammes à l’hectare sur cette terre très pauvre. Tous ceux qui voyageaient sur cette route principale remarquaient immédiatement cela, parce que c’était une année de sécheresse extrême et beaucoup de cultures avaient échoué. En outre, le ministre de l’agriculture vit la parcelle et fit venir une équipe de la télévision nationale pour la filmer.

Ousséni Zoromé commença alors à organiser plus de groupes d’agriculteurs, qu’il appela des " Ecoles de Zaï sur le terrain ". Chaque groupe doit réhabiliter collectivement un lopin de terre dégradée. De cette manière, tous les participants sont formés sur le terrain. Les rendements obtenus sur le lopin de terre réhabilité sont en partie partagés entre les membres de l’Ecole et en partie utilisés pour acheter les intrants agricoles et les outils nécessaires pour expérimenter le zaï.

Les expériences conçues par les agriculteurs comprennent une comparaison de l’impact du compost et de la fumure non-décomposée et l’expérimentation d’une variété de millet précoce qui est rare dans la région du Yatenga.

Ousséni Zoromé et les groupes d’agriculteurs qui ont formé les Ecoles de Zaï sur le terrain ont largement promu à la fois la technologie améliorée et leur nouvelle approche à la vulgarisation. Ils ont maintenant formé une union régionale – l’" Association pour la conservation de l’eau et des sols au Yatenga " – qui comprend environ 50 groupes d’agriculteurs dans cinq parties (Départements) de la région.

Cette association a installé un site d’apprentissage pratique sur le zaï dans chaque Département. Chaque groupe d’agriculteurs paye une contribution de 5000 CFA (US$ 8) pour devenir membre d’une union régionale. Ousséni Zoromé n’a personnellement reçu aucun soutien matériel pour son travail volontaire de vulgarisation excepté de temps à autre un peu de carburant pour sa moto de la Direction Régionale de l’Agriculture. Habituellement, cependant, il achète son propre carburant.

Le succès des Ecoles de Zaï sur le terrain s’est étendu au-delà des frontières de la région du Yatenga. Des membres de l’Association ont reçu des visites d’agents du développement venant d’autres régions du Burkina Faso qui étaient intéressés d’en savoir plus sur les écoles de zaï sur le terrain, et des membres de l’Association ont accueilli des groupes d’agriculteurs venus pour apprendre d’eux. Ces stagiaires rentrent chez eux non seulement avec de nouvelles connaissances mais aussi habituellement avec quelques semences et/ou outils qu’ils utiliseront dans leurs propres expérimentations du zaï.

Les chercheurs et les agents de vulgarisation formels qui ont été témoins du succès de cette initiative reconnaissent que c’est un modèle pratique de développement participatif de l’innovation qui met les agriculteurs au centre d’un processus auto-piloté d’apprentissage et de partage. Cela est devenu très évident durant l’" atelier foire " sur l’innovation locale par les agriculteurs, qui s’est tenu en mars 2004 à Ségou, au Mali, où Ousséni Zoromé a présenté les expériences de ses Ecoles de Zaï sur le terrain.

Vers la sécurité alimentaire et la richesse

Ces trois approches à la vulgarisation agriculteur-à-agriculteur ont toutes été développées sur l’initiative des agriculteurs qui, en réalité, sont devenus des prestataires de services publics qui ne reçoivent aucune rémunération pour leur temps de travail. Tout au plus, ils reçoivent de certaines ONG locales ou d’individus un certain soutien extérieur limité pour leurs déplacements.

Au début, ces agriculteurs ont eu peu de liens avec les services de vulgarisation du gouvernement mais, à mesure qu’ils ont commencé à s’organiser en unions plus grandes, telles que l’Association des Ecoles de Zaï sur le terrain, ils ont commencé à recevoir un certain appui dans la formulation de propositions pour acquérir des outils, et ils ont reçu des informations sur les réunions régionales ou nationales pertinentes à leurs activités. La Direction Régionale de l’Agriculture accorde des allocations de voyage et des indemnités de subsistance aux agriculteurs qui assistent à ces réunions.

Grâce en grande partie aux efforts de personnes comme Yacouba Sawadogo, Ali Ouédraogo et Ousséni Zoromé, les agriculteurs de la région du Yatenga et d’autres régions du Plateau Central fortement peuplé du Burkina Faso s’intéressent de plus en plus à la technique du zaï.

Dans les conditions de sécheresse telles que celles qui règnent sur le Plateau Central, cela n’est pas étonnant. Les poquets recueillent et concentrent l’eau de ruissellement, permettant aux agriculteurs de faire une utilisation très efficace de petites quantités d’engrais ou de compost ou – si disponibles – d’engrais chimiques.

L’utilisation du zaï permet aux agriculteurs de rendre de plus grandes superficies de terre convenables pour la culture et la plantation d’arbres, d’augmenter la production, de réduire les aléas de la production et d’améliorer la sécurité alimentaire des ménages. Ces agriculteurs innovateurs ne veulent pas monopoliser leurs connaissances. Ils sont généreux de partager leurs découvertes et leurs expériences avec d’autres. Les bénéfices qu’ils en retirent sont principalement, comme indiqué plus haut, la satisfaction personnelle et une plus grande reconnaissance sociale.

Ces raisons semblent avoir été leurs principales motivations pour développer leurs propres modèles de vulgarisation pour former et donner des conseils pratiques à d’autres agriculteurs, qui – à leur tour – sont enthousiastes d’apprendre d’eux et de former encore plus d’agriculteurs.

Sources : http://www.worldbank.org/afr/ik/french/friknt77.htm
No. 77 Février 2005

Cet article a été écrit par Aly Ouédraogo du Réseau MARP à Ouagadougou, et Hamado Sawadogo du Centre National de Recherche Agricole (INERA) à Tougan, Burkina Faso, avec l’assistance éditoriale de Chris Reij (Vrije Universiteit Amsterdam) et Ann Waters-Bayer (ETC Ecoculture). La documentation de ces approches de vulgarisation développées par des agriculteurs pour promouvoir les technologies et les innovations locales a été effectuée dans le cadre du programme Indigenous Soil and Water Conservation (ISWC) financé par la Direction Générale néerlandaise pour la Coopération Internationale (DGIS).

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