Vie du réseau

Le miracle du prépayé

L’expansion du mobile a relégué les lignes fixes au second plan. En attendant la révolution de la téléphonie par Internet.

Didier Acouetey n’en revient toujours pas. « La dernière fois que je suis passé chez moi, à Lomé, au Togo, raconte le directeur général du cabinet de ressources humaines Afric Search, le chauffeur de taxi qui me ramenait de l’aéroport ne savait pas comment il allait nourrir sa famille le soir même. Mais il disposait d’un téléphone cellulaire plus moderne que le mien, un objet très utile pour l’aider à trouver son chemin. » Le boom du téléphone mobile surprend encore les experts les mieux informé
s. À l’avant-garde dès 1999, l’Afrique du Sud comptait alors 7,6 millions d’abonnés pour une population de 43 millions d’habitants ; ils seront 17,3 millions à la fin de cette année ! Le Maroc, 31 millions d’habitants, va franchir le cap des 8 millions d’abonnés. La Tunisie, pour 10 millions de citoyens, rassemble 2 millions de « cellulaires » actifs. Du Caire à Harare, en passant par Addis-Abeba et Abidjan, les étals des commerçants, les gargotes populaires et les ruelles poussiéreuses sont envahis par les sonneries stridentes des téléphones mobiles. Les sud-africains Vodacom (filiale du britannique Vodaphone) et Mobile Telephone Networks (MTN), le franco-anglais Orange, l’égyptien Orascom ou le panafricain Celtel sont devenus des groupes omniprésents. Leurs produits s’étalent sur des panneaux publicitaires géants et sont mis en scène dans des spots radiophoniques, leurs cartes se vendent jusque dans la moindre épicerie de village. Qui a dit que l’Afrique était un continent immobile ?
Certainement pas Guy Zibi. Cet analyste en télécommunications du cabinet d’études américain Pyramid Research prévoit un doublement du nombre total d’abonnés au mobile d’ici à 2008. « L’Afrique franchira le cap des 100 millions d’ici là », précise-t-il.

Le succès du mobile africain n’est, en fin de compte, pas si mystérieux. Décrochez votre appareil de téléphonie fixe et essayez de joindre vos amis à Ouagadougou, Bangui ou Conakry. Vous le savez bien, vous allez devoir faire preuve de patience. Si vous parvenez à établir une connexion, vous devrez supporter la « friture », des conversations parasites et quelques interruptions. En Afrique, les réseaux de téléphonie fixe ne sont pas à la hauteur des besoins. Dans beaucoup de pays, la gabegie des finances publiques comme les Plans d’ajustement structurels n’aident pas à financer la modernisation des infrastructures de télécommunications fixes. Moins coûteuses, les installations en téléphonie mobile peuvent être amorties en quelques années par les abonnements des clients. Restait à trouver un vivier de consommateurs solvables.

« C’est le système du prépayé qui a permis aux opérateurs de répondre à la demande », affirme Guy Zibi. Un nouveau modèle économique a ainsi émergé : les groupes de téléphonie cellulaire vendent des cartes à tous ceux qui sont capables de contracter un abonnement de départ. Si ces clients ont ensuite du mal à régler le coût de rechargement, ils ne peuvent plus appeler.

« Dans les huit pays du continent où nous sommes implantés, le prépayé représente 95 % des ressources d’abonnement », souligne Marc Mesle, vice-président pour l’Afrique du groupe Orange. Contre 65 % en moyenne en Europe. La prévisibilité du marché est un peu plus incertaine, mais les opérateurs se rattrapent avec une forte rentabilité, en dépit de lourds investissements de départ et de taux d’intérêt élevés sur le continent. Marc Mesle reconnaît « 20 % de profitabilité nette » (soit le rapport entre le chiffre d’affaires et le bénéfice net, après impôts et amortissement des investissements), pour les filiales africaines d’Orange. La rentabilité est du même ordre dans les autres groupes. Hassan Kabbani, le patron d’Orascom Algérie, apprécie beaucoup son pays d’adoption. Ce n’est pas seulement pour ses délicieux couscous ou pour les plages dorées de Tipasa. En deux ans seulement, ce Libanais anglophone a séduit 1,5 million d’abonnés et a fait de la firme d’origine égyptienne le premier opérateur de téléphonie mobile du pays.

« Avec nos 1 400 salariés, nous aurons 2 millions d’abonnés cet été. Nous couvrons 75 % de la population dans les 48 wilayas et notre marque Djezzy GSM est connue jusqu’au fond des Aurès », se délecte le jeune dirigeant de 37 ans, avec la passion d’un gourmet. Il y a de quoi. Car ses « chers collègues » lui prédisaient un fiasco, quand en juillet 2001 il acquiert la seule licence d’Orascom à Alger pour le colossal montant de 737 millions de dollars (601 millions d’euros).

« Le potentiel du cellulaire reste important au Sénégal », estime pour sa part Léon-Charles Ciss, le directeur général de la filiale mobile de la Sonatel (groupe France Télécom). Sa société comptant déjà 600 000 clients et son concurrent direct Celtel 200 000, le taux de pénétration s’élève déjà à 8 % pour une population de dix millions de Sénégalais. « Nous pouvons à nous deux atteindre 15 % à 20 %, d’ici un ou deux ans », prévoit-il.

Avec seulement 200 000 lignes utilisées surtout par des entreprises, la téléphonie fixe ne doit cependant pas être enterrée trop vite. Une grande partie du succès de Sonatel mobile repose en effet sur les 13 000 « télécentres » du pays : des cabines publiques à poste fixe tenues par des privés et fonctionnant avec des relais de mobiles ! Nommées « call boxes » au Nigeria ou au Cameroun par exemple, elles essaiment partout sur le continent.

« La téléphonie fixe va se maintenir et même se développer », assène de son côté Abdeslam Ahizoune, président du directoire de Maroc Télécom. À la suite d’un important programme d’investissement, l’opérateur historique et polyvalent (détenu à hauteur de 35 % par le français Vivendi) compte désormais 5,2 millions d’abonnés « en fixe » pour une population de 29 millions d’habitants. Son principal concurrent, Méditel, touche 2,2 millions d’abonnés en lignes fixes. Ayant misé dès 1993 sur la technologie GSM et commercialement sur le système du prépayé, Maroc Télécom a convaincu 5 millions de clients pour le mobile. « Tout cela nous classe immédiatement après l’Afrique du Sud, un peu avant le Nigeria et avec une bonne longueur d’avance sur l’Égypte », jubile Abdeslam Ahizoune, donnant ainsi le quarté africain dans l’ordre.

Ingénieur Sup Télécom Paris, formé au marketing et ex-ministre des PTT marocains, ce dirigeant de 49 ans pense surtout à demain. Ses objectifs ? Couvrir le territoire jusque dans les villages en lignes fixes et développer les technologies d’avenir. La transmission de données Internet par ligne à haut débit ADSL est disponible chez Maroc Télécom, avec un premier forfait illimité à 25 euros (290 dirhams) pour 128 kilobits de débit (le 1024 kilobits étant à 800 dirhams). Mais les prix restent supérieurs à ceux des grands opérateurs européens, et encore chers pour le grand public.

Une ligne de fracture se dessine donc. Au nord et au sud du continent, les opérateurs développent les technologies dernier cri. Partout ailleurs, la transmission vocale reste la priorité, donnant un avantage certain au mobile.

Cette fracture va-t-elle s’approfondir ? C’est loin d’être certain quand on connaît la vitesse des révolutions dans les télécommunications. Aujourd’hui, la possibilité de téléphoner gratuitement grâce à Internet inquiète les grands opérateurs. Elle donne aussi un atout à ceux qui offriront l’accès ADSL. Mais, par ailleurs, l’arrivée des GSM de troisième génération va offrir aux cellulaires l’accès à Internet, à l’image et à la transmission haut-débit de données. Ayant montré leur capacité à sauter les étapes technologiques, les Africains ne s’arrêteront pas en si bon chemin.

Jean-Philippe von Gastrow

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